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Abobo-Attaque contre les Occidentaux dans son discour: Ouattara se met en difficulté

ado et hollande

Il a parlé plus qu’il ne fallait. Face aux victimes de la crise post-électorale à Abobo, le président Alassane Ouattara a fait une sortie pour le moins surprenante.

«J’entends ici et là des bêtises parlant de justice des vainqueurs. Est-ce qu’on déjà vu une justice des vaincus? Si c’étaient les autres, ils nous auraient tué tous et le fait que nous ne les tuons pas montre que nous sommes un pays de démocratie, de droit. Je veux m’adresser aux grands pays donneurs de leçons. Nous avons vu ce qu’ils ont fait. Et l’esclavage, qu’est ce que c’était? Nous allons continuer de juger les auteurs de ces crimes et ils doivent être jugés ici en Côte d’Ivoire. Personne n ira à la Cpi. Nous les jugerons tous ici», a tranché le chef de l’État.

Discours circonstancié ou réelle volonté d’exprimer son agacement face à ”ces grands pays donneurs de leçons”? En tout état de cause, le président Ouattara ne se rend pas service en adoptant un tel langage. Le chef de l’État ivoirien se met en difficulté sur le double plan de la réconciliation et de l’amélioration de son image à l’extérieur. Certes, ce n’est pas sa première sortie de ce genre. On se souvient de son intervention, le 1er décembre 2014 sur les ondes de Radio France internationale (Rfi), quand il s’était élevé contre la propension de l’extérieur à vouloir donner des leçons aux présidents africains. «Il nous appartient, nous Africains, de saisir les aspirations de nos peuples, notamment la jeunesse, mais nous n’accepterons pas de leçon de l’extérieur», déclarait-il notamment, s’adressant sans doute directement à la France, dont le président François Hollande, invité au sommet de la Francophonie, dénonçait les chefs d’État qui souhaitent modifier leur Constitution pour se maintenir au pouvoir.

Que le chef de l’État veuille faire juger les coupables des crimes commis en Côte d’Ivoire pendant la crise post-électorale, c’est son droit, et les statuts de Rome le lui permettent. Mais, qu’il fustige l’attitude ”des grands pays donneurs de leçons” qui, à ses yeux, se sont rendus également coupables de l’esclavage”, c’est assez osé. Le président Ouattara n’oublie sans doute pas que ce sont ces mêmes ”grands pays donneurs de leçons” qui l’ont soutenu, en rétablissant le verdict des urnes tel que proclamé par la Commission électorale indépendante (Cei) en 2011, et en invalidant les résultats proclamés par le Conseil constitutionnel d’alors dirigé par Yao N’dré.

Le rôle des grands pays et la pression des ambassadeurs

Face à ce qu’ils ont considéré comme une forfaiture, ces grands pays se sont ligués contre l’ancien président Laurent Gbagbo, autorisant le bombardement de sa résidence pour faciliter son arrestation avec plusieurs de ses proches. De plus, le chef de l’État a fait ratifier le Statut de Rome par la Côte d’Ivoire, reconnaissant de ce fait la compétence de la Cour pénale internationale (Cpi) à enquêter sur tous les crimes commis dans son pays pendant les périodes de crises qu’il a traversées. C’est au nom de la reconnaissance de cette compétence que la Cpi a déjà ”recueilli” l’ancien président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, l’ex-leader de la galaxie patriotique.

Ironie du sort, l’ex-président ivoirien a été le premier à enclencher, par écrit, la procédure de cette juridiction. Ouattara ne devait donc pas s’attendre à être chouchouté par cette Cour et, par-delà, ces ”grands pays donneurs de leçons” qui l’ont soutenu sur la base de certaines valeurs que sont la justice, l’égalité pour tous, le respect des principes démocratique et des droits de l’Homme. «La question préoccupe tous les ambassadeurs accrédités ici. La Côte d’Ivoire est un pays en paix certes, mais tous les problèmes ne sont pas résolus. Pendant la récente crise, mais bien avant cela, pendant les quinze dernières années, d’horribles crimes ont été commis et les coupables ne sont pas tous d’un seul côté.C’est un problème qui doit être résolu pour arriver à une réconciliation nationale», déclarait lex-ambassadeur de la Suisse en Côte d’Ivoire, David Vogelsanger, dans une interview qu’il nous a accordée à la veille de son départ, le jeudi 31 juillet 2014.

Comme lui, de nombreux diplomates accrédités en Côte d’Ivoire trouvent partiales les procédures judiciaires engagées dans le cadre de la crise post-électorale. Ils font tous le constat qu’il n’y a qu’un seul camp qui est devant les juges, en dépit des assurances données par Ouattara lui-même et son ministre de la Justice. Ce qui les conduit à s’interroger sur l’impartialité de l’appareil judiciaire et la volonté réelle des autorités ivoiriennes de voir aboutir une quelconque procédure contre les soldats proches du camp au pouvoir. Ce sont ces réalités qui agacent les ”grands pays donneurs de leçons”, lesquels espèrent voir les procédures judiciaires contre les pro-Ouattara aboutir pour une justice équitable. De même que le chef de l’État trouve légitime qu’on doit juger tous les criminels en Côte d’Ivoire, de même il doit se faire à l’idée que la justice et la communauté internationales le titilleront toujours sur ces questions. Et sa sortie d’Abobo pourrait conduire ”ces grands pays” à douter de lui. En effet, nul n’ignore que si la Côte d’Ivoire a fait des bonds qualitatifs dans le domaine de l’amélioration des infrastructures socio-économiques, c’est aussi grâce à la communauté des bailleurs de fonds.

Les conditions de financement des grands projets…

Plusieurs institutions internationales, se fondant sur ses qualités d’homme rigoureux, rompu à la gestion de la chose économique, n’hésitent pas à injecter de l’argent dans le processus de développement de la Côte d’Ivoire. En revanche, ces institutions que sont la Banque mondiale, le Fonds monétaire internationale (Fmi) et autres, attendent en retour que des questions liées à la stabilité politique, notamment la justice, soient traitées avec la même rigueur. Elles pourraient tenir rigueur au président Ouattara par rapport à ce discours, qui ne garantit pas réellement la prise en compte de ces questions. D’autant plus que son prédécesseur, Laurent Gbagbo, en a fait les frais pendant la crise que la Côte d’Ivoire a traversée. Ouattara écorne donc son image d’homme d’État intraitable sur les questions de justice et d’égalité des citoyens devant la loi. De quoi lui fermer des portes, aussi insignifiantes seraient-elles.

Au plan de la réconciliation, le discours du chef de l’État n’est pas fait pour arranger les choses. Bien au contraire. En traitant Laurent Gbagbo d’assassin des Ivoiriens, il rouvre une blessure qui peine à se cicatriser, dans la mesure où ce n’est pas la perception de bon nombre d’Ivoiriens, qui se reconnaissent toujours en son prédécesseur. Même ceux qui espéraient de sa part une clémence, au regard de l’évolution de la situation politique et qui le soutiennent secrètement, seront quelque peu déçus d’un tel propos, surtout qu’Alassane Ouattara se présente comme le président de tous les Ivoiriens. Son discours aurait dû être rassembleur, empreint de pardon et de paix. Certes, il a tenté d’arrondir les angles en invitant les victimes au pardon, mais des pans de son discours l’ont fait apparaître comme le défenseur d’une partie des victimes contre les autres, puisque des soldats proches de son camp sont cités dans des atrocités commises dans bien des localités de la Côte d’Ivoire.

Les raisons d’un tel discours

Plusieurs raisons peuvent expliquer la sortie du président Alassane Ouattara à Abobo. Mais, l’une des raisons majeures de ce coup de gueule, selon des indiscrétions, c’est l’enjeu économique que représente la Côte d’Ivoire aujourd’hui. Et des puissances ne verraient pas d’un bon œil l’attribution de gros marchés à d’autres à leur détriment. Or, sur ces questions, le président Ouattara reste intraitable, selon certains de ses proches.

En 2012, l’ancienne filiale du français Edf, Azito Energy, l’entreprise qui exploite la centrale, a perdu le marché, qui est devenu la propriété de l’anglais Globelecq. L’Américain General Electric et son partenaire sud-coréen Hyundai ont raflé le marché de construction de cette centrale de plus de 200 milliards Fcfa au Français Alstom. Les hommes d’affaires français s’en étaient plaint à l’époque, à Nicolas Sarkozy. L’entreprise Alstom avait encore perdu le marché de la construction du barrage hydroélectrique de Soubré, au profit d’une entreprise chinoise. Les Marocains ont également fait une percée sur le marché économique ivoirien. Rachat de l’actionnariat de l’État d’une grande banque ivoirienne, octroi d’un gros marché de construction de logements sociaux… La percée chinoise et marocaine ne serait pas étrangère à cette pression. Ajouté à cela, le concept de la justice des vainqueurs abondamment relayé par la presse étrangère, le chef de l’État ne peut que piquer la mouche. Et à dessein. D’autres collaborateurs du chef de l’État pensent plutôt que le coup de gueule de leur patron est dû à ”l’entêtement” de l’opposition, notamment du Fpi, ex-parti au pouvoir, de ne pas reconnaître sa responsabilité dans la crise post-électorale.

Pour ces proches du numéro un ivoirien, Alassane Ouattara reste parfois médusé face aux propos de certains cadres du Fpi, qui veulent faire passer son camp pour le principal responsable des drames que les Ivoiriens ont vécus. «J’ai entendu votre message, et voyez-vous, je nous ai pas préparé un discours, car ce que je dis vient du cœur parce que je ressens votre douleur, je trouve inadmissible que ces personnes qui ont tué, brûlé des gens, violé des femmes, se conduisent aujourd’hui comme s’ils étaient des anges, comme s’ils n’ont rien fait, et on pense que tout cela est possible. Cela est inadmissible, et cela ne doit plus jamais se passer en Côte d’Ivoire», disait-il. On croirait donc entendre un responsable de base du Rdr, tant le discours en a l’allure. Cette colère du président de la République s’est davantage renforcée, dit-on, avec la récente sortie de Mme Simone Gbagbo au tribunal, lors du procès en Assises des pro-Gbagbo. Le ton du discours est donc lié au contexte, au public qu’il avait en face et à l’endroit où il a été tenu, à savoir Abobo. En effet, cette commune, considérée comme le fief du Rdr, parti politique de Ouattara, a été le principal théâtre des affrontements entre les forces pro-Gbagbo et un mystérieux commando invisible, occasionnant des centaines de morts et des milliers de victimes. De décembre 2010 à avril 2011, d’intenses combats s’y sont déroulés avec à la clé, d’importants dégâts matériels.

Que Ouattara se retrouve à Abobo, de surcroît le 11 avril, date de la commémoration de l’arrestation de l’ancien président et de la fin de la crise militaire, sans aborder cette question, serait inopportun. Il a donc eu un cadre et une date pour rassurer les victimes parmi les populations qui l’ont soutenu. Il en a profité pour faire des précisions sur des sujets qu’il trouve intéressants et essentiels dans l’évolution de l’actualité en Côte d’Ivoire. Et sa sortie a été très appréciée par ses partisans, eu égard aux commentaires qu’ils ont suscités sur les réseaux sociaux. C’est donc un Alassane Ouattara qui tenait à rassurer ses militants d’Abobo et d’Anyama, pour continuer à bénéficier de leur soutien à 6 mois des prochaines échéances prévues pour octobre prochain, qui a parlé. Qu’en dira-t-on dans les chancelleries ? Les jours à venir nous situeront.

Y.DOUMBIA

L’INTER

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