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Côte d’Ivoire : Decouvrez le Parcours de Wattao ex-chef de guerre devenu colonel au sein de l’armée

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Wattao : Parcours d’un militaire ivoirien, ex-chef de guerre devenu caïd

Issiaka Ouattara, dit Wattao est un personnage emblématique de ses dernières décennies de violences politiques et de guerre civile en Côte d’Ivoire. Tour à tour victime de tortures et responsable de crimes graves, il est aujourd’hui colonel au sein de l’armée et chef mafieux.

Issiaka Ouattara, dit Wattao est un personnage emblématique de ses dernières décennies de violences politiques et de guerre civile en Côte d’Ivoire. Tour à tour victime de tortures et responsable de crimes graves, il est aujourd’hui colonel au sein de l’armée et chef mafieux, conservant encore le contrôle d’un réseau criminel actif à Abidjan.

Le portrait de Wattao illustre toute la difficulté à laquelle le gouvernement d’Alassane Ouattara fait aujourd’hui face. Un certain nombre d’ex-rebelles pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires pour de graves violations des droits de l’homme mais jouent sur la peur des dirigeants pour éviter tout procès. Or, la Côte d’Ivoire ne pourra pas se rétablir politiquement et économiquement sur le long terme avec une telle impunité et de telles dérives mafieuses.

Issiaka Ouattara, dit Wattao, est militaire depuis la fin des années 80. Il se fait connaître en 1990 lors d’une mutinerie de jeunes soldats. A la fin des années 1999, il fait partie d’un groupe de jeunes soldats qui soutient la prise de pouvoir du général Robert Gueï lors du coup d’Etat de décembre 1999. Ces jeunes militaires se considèrent au-dessus des lois et mettent en place une justice parallèle, où les violations des droits de l’homme sont courantes. Wattao, alors caporal, fait partie de la garde rapprochée du général Gueï. Moins d’un an après, il est accusé de vouloir renverser le général au profit de l’opposant Alassane Ouattara. Il est arrêté le 1er septembre 2000 et envoyé au camp militaire d’Akouédo. Wattao y est sévèrement torturé. « On me battait tous les jours de 9 heures à 18 heures dans les barbelés dans lesquels nos tortionnaires nous enroulaient. J’ai eu des fractures au pied et au bras. […] C’était l’enfer »[1].

Le temps de l’exil

En octobre 2000, à la faveur d’une attaque du camp, Wattao s’évade et s’enfuit à l’étranger. Un mandat d’arrêt est émis à son encontre. S’ensuit alors une longue période d’exil dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest.

A Ouagadougou, capitale du Burkina-Faso, Wattao fait la connaissance de Guillaume Soro et retrouve d’autres militaires ivoiriens en disgrâce qui souhaitent fomenter un coup d’État contre le président Laurent Gbagbo, élu en 2000. En septembre 2002, Wattao participe à la tentative de putsch manqué au sein de la rébellion armée du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI). L’échec de l’opération militaire l’oblige à rejoindre la ville de Bouaké plus au nord avec son unité « Anaconda ».

Massacre ou mensonge ?

Le 6 octobre 2002, à Bouaké, des rebelles du MPCI arrêtent une soixantaine de gendarmes désarmés, accompagnés d’une cinquantaine de leurs enfants et de quelques civils. Ils sont conduits à la prison du camp militaire du bataillon d’infanterie. Dans la soirée, des éléments armés du MPCI entrent dans la prison et tirent en rafales, tuant et blessant des dizaines de prisonniers. Les survivants restent deux jours avec les blessés et les cadavres en décomposition sans recevoir de nourriture. Certains sont contraints de transporter les cadavres et de les enterrer dans des fosses communes. Une dizaine d’entre eux sont à leur tour exécutés sur les lieux mêmes du charnier. Cet événement a fait l’objet d’une enquête précise d’Amnesty International. Pour Wattao, qui était présent à Bouaké lors de ce massacre, il s’agit bien évidemment de mensonges : « Nous n’avons jamais tué des gendarmes désarmés et je tiens à vous dire que nous ne sommes pas des lâches. Tous ceux qui sont morts sont tombés sur le terrain de bataille »[2]. Ce massacre reste à ce jour une affaire tabou sur laquelle la justice ivoirienne n’a toujours pas entrepris d’enquête.

Un pays coupé en deux, en proie à la violence

A la suite de la  tentative de coup d’État de 2002, le pays est divisé en deux, avec un sud contrôlé par le gouvernement de Laurent Gbagbo et un nord contrôlé par plusieurs mouvements rebelles, qui se fédèrent sous le nom de Forces Nouvelles (FN).

Le nord du pays est alors divisé en 10 zones, avec chacune à leur tête un commandant de zone dit « com’zone ». Le nord se transforme rapidement en une économie de chefs de guerre, où tout est contrôlé par les « com’zones ».

Wattao, proche du secrétaire général des FN Guillaume Soro, obtient un poste clé au sein des forces armées des FN (chef d’Etat major)  et devient le bras armé de Guillaume Soro.

S’ensuivent  plusieurs années  d’instabilité et d’escarmouches entre rebelles pour la quête du pouvoir au sein de la rébellion et le contrôle de riches territoires. Les affrontements font de nombreuses victimes. En juin 2004, l’opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) découvre à Korhogo des charniers contenant des dizaines de corps, dont des victimes décapitées et des cadavres retrouvés avec les mains attachées derrière le dos.  Il s’agit de personnes faites prisonnières par les hommes de Wattao.

Intouchable

En décembre 2007, une chasse aux sorcières est lancée dans la ville de Bouaké à la suite d’une nouvelle attaque des rebelles dissidents. Des membres des FAFN, soupçonnés de traîtrise, sont arrêtés à leur domicile ou sur leurs lieux de travail et sont conduits à la résidence de Wattao. Le 28 décembre, cinq corps sont déposés à la morgue de Bouaké par des hommes en tenue militaire. Ces corps présentent des marques de tortures et d’exécutions sommaires. Finalement, 27 disparitions sont signalées par des familles à Bouaké. Selon l’International Crisis Group (ICG), la responsabilité du commandant de zone Morou Ouattara et de son frère Wattao paraît engagée. Pourtant aucune enquête ne sera menée par les FN et aucune sanction ne sera prise.

En mai 2008, Guillaume Soro limoge Zacharia Koné, le « com’zone » de la zone 5, pour insubordination. Ce dernier ne voulant pas partir, Wattao et ses hommes prennent alors le contrôle par la force de ce riche territoire (Wattao met ainsi la main sur la production et le commerce du cacao, du café, ainsi que sur les mines de diamants et d’or), au prix de nombreux morts. Cet épisode de guerre intestine entre rebelles et les violations des droits de l’homme qui ont été commises ne font jusqu’à ce jour l’objet d’aucune enquête judiciaire.

Les ressources tirées de ce territoire assurent à Wattao des profits immenses. Entre 2008-2009, par exemple, pour chaque tonne de cacao produite, Wattao ponctionne les producteurs d’un montant de 5 000 francs CFA, assurant ainsi des recettes 1,2 million de dollars par campagne de production !

Avec ces revenus, Wattao finance l’effort de guerre des FN et de son chef Guillaume Soro. Il en profite également pour s’enrichir personnellement. De simple caporal dans l’armée, Wattao est devenu en moins de dix ans un véritable chef de guerre redouté et redoutable. Malgré les nombreux crimes qui peuvent lui être imputés, il reste  intouchable. Mais son avenir va changer avec la crise postélectorale en Côte d’Ivoire.

Clément Boursin, responsable Afrique à l’ACAT

Source : Acatfrance.fr

[1] Nicolas Baba Coulibaly, L’Inter, Le chef de guerre Wattao parle enfin,http://www.bowoulankro.com/wpress2/2009/04/26/crise-ivoirienne-interview-le-chef-de-guerre-wattao-parle-enfin-linter-jeudi-le-15-mai-2003/

[2] Nicolas Baba Coulibaly, Idem

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