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Cedeao/ Création d’une monnaie unique :Voici Pourquoi le projet peine à décoller

La question de la monnaie unique au sein de la Cedeao alimente ces derniers temps les débats dans l’espace communautaire. Pourtant l’idée de création d’une monnaie commune était inscrite dans la vision des pères fondateurs de l’institution [dès 1975]. 42 ans après, le projet peine à décoller.

Manque de volonté politique, refus de s’affranchir de la tutelle coloniale, environnement économique peu favorable ? Plusieurs arguments sont régulièrement soulevés pour tenter de justifier les incessants reports du lancement de la monnaie unique commune aux 15 États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), à savoir le Nigeria, le Ghana, la Sierra-Leone, la Guinée, le Liberia, le Cap Vert, la Gambie, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Burkina Faso, le Niger, le Mali, le Togo, le Bénin et la Guinée-Bissau. Pour en comprendre les raisons profondes, il convient remonter au franc Cfa, la seule monnaie héritée de la colonisation et dont le Trésor français centralise encore aujourd’hui les réserves de change.

Franc Cfa. C’est à Chamalières (une commune française, située dans le département du Puy-de-Dôme en région d’Auvergne-Rhône-Alpes, faisant partie de l’aire urbaine de Clermont-Ferrand) en France que les billets de franc Cfa sont imprimés, à des milliers de kilomètres des sièges des deux banques centrales africaines censées régir cette monnaie. Depuis sa création en 1945, le franc Cfa a subi peu de réformes. Établi selon des critères économiques conservateurs, il a toujours été arrimé au franc français, puis à l’euro à partir de 1999, selon une parité fixe. Avec pour objectif de donner la priorité à la stabilité des prix, avec les mêmes objectifs que ceux de la zone Euro : la maîtrise de l’inflation à un niveau inférieur ou égal à 2 %. Le franc Cfa est garanti par le Trésor français et les pays membres sont tenus d’y déposer au minimum 20 % de leur émission monétaire (un taux qui a progressivement baissé depuis sa création). En échange, le Trésor français assure la libre convertibilité et le transfert des devises vers la zone Euro. Une façon d’encourager les entreprises françaises et européennes à échanger avec les pays de la zone, car le risque de change est éliminé et les coûts des transactions faibles.

Inflation. Les pays membres de la zone franc ont la phobie de l’inflation. Il suffit juste que la France brandisse ce risque face à la volonté de certains chefs d’États africains de sortir de la zone franc pour tuer toute velléité émancipatrice. L’argument principal des fervents défenseurs de cette devise, pour justifier son maintien, demeure sa stabilité assurée par la France et tous les avantages qu’elle induit.

En effet, la création de monnaie étant sous contrôle extérieur, la tentation de “faire tourner la planche à billets” est quasi nulle. Les pays de la zone franc bénéficient ainsi d’une dette publique limitée (autour de 70% du Pib) et d’une inflation maîtrisée (moins de 2%), contrairement aux pays voisins qui sont régulièrement amenés à gérer des crises inflationnistes. Le franc Cfa est également brandi comme un atout en termes d’intégration régionale. Ce d’autant plus qu’il facilite les échanges, surtout commerciaux, entre les pays de la zone. Cette monnaie bénéficie enfin d’une crédibilité internationale qui manque aux autres devises des autres pays de la région, du fait de son lien avec l’euro qui est un gage de sécurité auprès des marchés internationaux.

C’est connu de tous, le rôle du franc est de lutter contre l’inflation. Mais alors, quel rôle peut jouer une telle monnaie dans des pays qui aspirent au développement ? Le Méga économiste Daniel Anikpo soutient que le Fcfa est dépassé. Il va plus loin, indiquant que ”ce n’est même pas une vraie monnaie”. «Le franc Cfa n’existe pas au sens scientifique de la définition de la monnaie. A savoir : ”une valeur qui joue le rôle d’équivalent général”. Il faut changer de monnaie ou réformer en profondeur le franc Cfa», préconise-t-il. À l’en croire, le rôle joué par le franc Cfa n’est bénéfique qu’à la France qui la gère. «La France veut gagner sans rien faire. Par conséquent, les banques ont eu pour mission de ne pas financer les entreprises, ni l’économie, en général, au risque de créer une inflation. Puisque, s’il y a inflation, cela revient à dire que le Fcfa se dégrade. Toute chose qui va nécessiter un soutien, une garantie, une stabilité de la part de la France», dénonce-t-il.

«Aujourd’hui, il y a une politique de répression monétaire en Afrique de l’Ouest et du Centre dans les zones franc Cfa. Cette politique s’accompagne de pénurie monétaire et d’asphyxie financière de nos économies. Alors que sans financement, il n’y a pas de production. Et s’il n’y a pas de production, il n’y a pas de richesse, ni de création d’emplois, donc pas d’épargne et pas d’industrialisation. Et malheureusement, c’est cela l’objectif principal du Fcfa et de la politique prudentielle de crédit, à savoir empêcher l’épargne pour qu’il n’y ait pas d’industrialisation de l’Afrique», fustige Daniel Anikpo.

Un choix. Un choix de priorité s’impose aujourd’hui aux États africains ayant en partage le franc Cfa : opter pour la politique de croissance économique ou celle de la maîtrise de l’inflation. Ce qui revient à dire, qu’il y a nécessité de rompre ou de poursuivre avec le franc Cfa. Pour nombre d’économistes, à l’instar de l’ancien ministre togolais Kako Nubukpo, il y a un paradoxe entre la vigueur de la monnaie qui ne peut pas se priver d’inflation et les objectifs de développement de la zone franc. Il estime qu’en rendant les importations plus attractives que la production locale, la parité fixe bloque un levier de croissance.

En plus, fait-il remarquer, elle maintient les pays de la zone dans une économie de rente des matières premières. Autrement dit, les pays de la zone franc se contenteront d’exporter de la matière première au détriment de leur transformation sur place. Or, comme le soutiennent les économistes avertis, seule l’industrialisation pourrait sortir l’Afrique du sous-développement.
Depuis quelques années, certains chefs d’État ainsi que des intellectuels africains appellent au changement. En 2015, le président tchadien, Idriss Déby, exprimait le souhait que les pays de la zone créent leur propre monnaie. Plus récemment, en avril 2016, Michel Sapin, le ministre français des Finances affichait l’ouverture de l’État français à une évolution des clauses qui régissent le franc Cfa. Mais il a rappelé que cette décision «appartient aux Africains. S’il doit y avoir une évolution du Cfa, la France accompagnera mais ne se substituera pas aux pays africains». Cette année, 2017, c’est le Guinéen Alpha Condé qui appelait ses pairs à couper le cordon ombilical qui les lie à la puissance coloniale.

Malgré la pression croissante, le Trésor français et les banques centrales africaines préfèrent toujours néanmoins miser sur la stabilité des prix avec la parité fixe, quand la chute des matières premières pèse sur les monnaies de pays voisins tels que le Ghana ou encore le Nigeria, etc. Ces derniers ont donc dû «resserrer leur politique monétaire». A l’opposé, les pays de la zone franc semblent amortir le choc. Le cas récent de la Côte d’Ivoire est révélateur. Ce pays a été frappé de plein-fouet par la chute des cours mondiaux du cacao. Ce qui a contraint les autorités gouvernementales à renoncer à certains projets d’investissement. Mais très vite, cette situation a été corrigée et les budgets ont été réajustés avec les fonds recueillis dans le cadre de l’Eurobond 2017. Alors même que le pays était en crise, les bailleurs de fonds n’ont manifesté aucune réticence à prêter à la Côte d’Ivoire. Simplement parce que grâce au ”compte d’opération”, le pays reste toujours solvable. Ainsi, la France protège ”ses enfants”.

Oser. Il y a une prise de conscience collective en Afrique, tant au sein de la classe politique que de la grande masse. «La monnaie souveraine est un instrument de développement. Tous les pays qui se sont développés ont eu des monnaies indépendantes. On ne peut pas parler de développement et parler de monnaie assujettie à une autre économie. C’est incompatible», relève Daniel Anikpo. L’Afrique l’a compris et veut oser. Elle veut prendre son indépendance économique. Dans la sous-région ouest-africaine (Cedeao), cette ambition est également partagée. Les premières véritables initiatives ont été prises à partir de 1996 avec la création de l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest (Amao), regroupant les huit banques centrales de la Cedeao. A savoir la Bceao et les sept banques centrales des pays non membres de la zone franc d’Afrique de l’Ouest.

L’Amao avait pour mission de piloter la conception et la mise en œuvre opérationnelle du projet de la monnaie commune. Malheureusement, les premières années suivant sa création, cette institution est restée inactive. C’est en 1999, lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernements de la Cedeao qu’une nouvelle stratégie, «approche accélérée de l’intégration», a été adoptée en vue de donner un coup d’accélérateur au projet. En 2000, cinq pays (Gambie, Ghana, Guinée, Nigeria, Sierra Leone) non membres de la zone Umoa (Union monétaire ouest-africaine) ont défini les bases d’un projet de zone monétaire commune dénommée Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (Zmao). Ces deux zones devraient, à termes fusionner pour donner une seule zone monétaire. Rien n’y fit. Un autre rendez-vous a été fixé pour 2015, puis 2020. Mais cette date ne sera pas non plus respectée. Le président de la Commission de la Cedeao, Marcel de Souza, l’a fait savoir récemment. Il a annoncé qu’il va falloir patienter 7 à 10 ans encore pour voir ce projet prendre forme.

Pour l’heure, les experts en question monétaire estiment que les critères de convergence ne sont pas encore réunis pour la création d’une monnaie sous-régionale. Les critères d’une zone monétaire optimale, selon Robert Mundell, sont : une parfaite mobilité des travailleurs, un mouvement libre des flux de capitaux, une économie suffisamment diversifiée et un système fiscale commun facilitant le transfert des capitaux d’un pays à un autre. Les pays de l’espace communautaire, loin de remplir ces critères, ont édicté les leurs. A savoir : Équilibre budgétaire par rapport au Pib >= -4% ; taux d’inflation<=5% ; Réserves brutes >=6 mois ; Financement du déficit budgétaire par la Banque centrale par rapport aux recettes fiscales de l’année précédente <=10%. Au delà des critères de convergence, la question fondamentale du régime de change (fixe, flottant ou mixte) n’a pas encore clairement été abordée. Mais, en plus, bien d’autres paramètres, pour la plupart d’ordre politique, sont à prendre en considération.

Un pacte social

La question de la création d’une monnaie ne relève pas que la volonté du chef de l’État. C’est une question de souveraineté nationale. Elle nécessite par conséquent l’adhésion du peuple dans son ensemble. Tous doivent s’engager dans un pacte social. Car, en plus des considérations techniques qui président à la création d’une monnaie, il y a la force de travail des femmes et hommes, filles et fils du pays, qui est nécessaire pour lui donner de la valeur. La volonté qui doit aboutir à la prise d’une telle décision doit provenir de la base, du peuple. Les Japonais ont signé ce pacte social. Dans un élan patriotique, ils ont travaillé durement. Les résultats sont là aujourd’hui : le Japon est la deuxième puissance économique du monde. Également, les Chinois n’ont pas dormi sur leurs lauriers. Chaque citoyen s’est mis au travail. La Chine est aujourd’hui la première puissance économique mondiale. Le Ghana voisin est aussi un exemple d’engagement populaire au travail, qui a fini par revaloriser la devise de ce pays.

Le travail libère, dit-on. Le travail des Ivoiriens affranchira certainement la Côte d’Ivoire de la tutelle coloniale. Les dirigeants ont aussi un rôle important à jouer. A savoir qu’ils doivent prendre conscience que le temps des discours démagogiques est dépassé. L’heure de dire la vérité au peuple a sonné. Et la vérité, c’est qu’aucun développement n’est possible tant qu’un pays tiers définira la politique économique et monétaire de la Côte d’Ivoire. Et le développement d’un pays étant conditionné par la mise en œuvre d’une véritable politique d’industrialisation, il importe que le pays se donne les moyens de son financement. Cela ne sera possible que si la Côte d’Ivoire bat elle-même sa monnaie. Si cette monnaie doit être régionale, tant mieux. Mais, la Côte d’Ivoire doit dès à présent prendre le devant des choses, puisqu’elle brasse à elle seule près de 40 % de la masse monétaire de l’Uemoa.

Élysée LATH

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