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Côte d’Ivoire: Nouvelle Constitution: Voici les 5 grands postes du pouvoir dans la 3è République/Les révélations d’un document

ouattara 1er mai

Nouvelle Constitution: Voici les 5 grands postes du pouvoir dans la 3è République

Ce que Ouattara prépare
Les révélations d’un document

Fin juin 2016. Abidjan bruisse entre les grosses pluies de la saison et quelques rayons de soleil. La «perle des lagunes» a renoué avec ses grandes ambitions. On y parle développement, business, projets.

Le taux de croissance depuis 2010 oscille entre 8% et 10 % par an. La richesse du pays a, grosso modo, doublé. Belles voitures, restaurants huppés, investissements, infrastructures (dont le fameux troisième pont qui enjambe l’eau entre Cocody Riviera et Marcory), immobilier, centres commerciaux, ça bouge … Tout cela semble aller de soi, et pourtant on revient de loin. À la fin 2010, la Côte d’Ivoire sort de deux décennies de mal-développement, de crises identitaires, ponctuées par un fiasco électoral et une quasi-guerre civile …

Palais de la présidence, au cœur du plateau, l’ex-grand quartier des affaires lancé dans une seconde jeunesse. Une demeure très houphouëtienne, style résolument seventies,

rénovée de fond en comble. Avec de belles vues sur les jardins et la lagune. C’est là que travaille Alassane Ouattara, dans la même pièce et sur le même bureau que Félix Houphouët-Boigny. Comme pour marquer une continuité de l’histoire, de l’État ivoirien. Élu en 2010, au terme d’un long chemin, réélu très confortablement fin 2015, l’enfant de Kong a foi en lui, il croit en son destin. Entouré d’un bataillon de fidèles, hommes et femmes dévoués à la réussite de son action, le président s’implique entièrement dans son second mandat, dont il a dit à de multiples reprises et publiquement que ce serait le dernier. Il a des plans. Une grande ambition politique qui fonderait une nouvelle République, une Côte d’Ivoire moderne, durablement éloignée des divagations mortifères autour de l’identité et de «l’article 35» sur les critères d’éligibilité à la fonction présidentielle, sur l’«ivoirité». Il en parle depuis des

mois, il a annoncé son intention lors de la campagne électorale de l’année dernière. C’est la nouvelle Constitution, après celle d’Houphouët, largement formelle, et celle de 2000 à l’origine de tant de drames. Il y aura un référendum, fin octobre, pour que les Ivoiriens approuvent son projet.

Vers la « IIIè République »

Il faut un texte pacificateur, qui apaise le pays, le fasse entrer dans la modernité institutionnelle, qui le mette à l’abri des tempêtes. Et qui permette aux différentes sensibilités et ambitions de coexister au sommet. Pour Ado, la mission est essentielle. Elle mobilise une grande partie de son temps, de son énergie depuis la réélection de 2015. Avec certainement une volonté de marquer son passage, d’entrer dans l’histoire, de faire la synthèse, de léguer un cadre pour le futur et les générations à venir. Il y a une volonté réelle de se débarrasser des dispositions ”confligènes”, inégalitaires, ethniques, dont le président lui-même et ses proches ont eu à souffrir. De solder les comptes de ”l’ivoirité”, de se défaire de ce terrible article 35, symbole de l’exclusion et de la division. Ado l’a dit dès 2015, lors de la campagne électorale : « Ce qui est important, c’est que nous regardions l’avenir et notre avenir, c’est faire en sorte que nul ne soit exclu en raison de son origine, de sa religion, de son ethnie ou de la couleur de sa peau.» Et il y a évidemment aussi des considérations

politiques essentielles à moyen et long termes. Alassane voit loin. Toutes les sorties se préparent. Et le président tient à peser sur le choix de son successeur. Ce n’est pas un secret, Ado veut garder la main. Maîtriser l’évolution et mettre en place les mécanismes qui aboutiront à sa succession en 2020. Le président consulte, écoute, prend du temps (ce qui n’est pas si fréquent dans le monde des présidents justement). Il veut se rassurer, confronter ses idées, tout en ne se privant pas du plaisir politique de brouiller les pistes. Mais il a les idées claires, il sait où il veut aboutir. Cette réforme constitutionnelle, c’est la sienne avant tout. Le débat agite le pays, alimente les unes de la presse, permet à l’opposition de clamer haut et fort son … opposition. Des experts planchent sur les textes. Le peuple votera. Le train avance. Et au moment où ses lignes sont écrites, un certain nombre de paramètres essentiels semblent acquis. En premier lieu, il faut solder définitivement la question de l’identité et de l’ivoirité, par une écriture nettement plus inclusive de l’article 35 sur les conditions d’éligibilité à la présidence. Ce sera la clé de voûte symbolique du texte. Autre réforme tout aussi essentielle, celle qui tient à la dévolution du pouvoir, avec la création d’un poste de vice-président, élu sur un ticket avec le président, «à l’américaine». Ce vice-président serait le véritable numéro deux politique du pays en étant le successeur constitutionnel en cas d’empêchement présidentiel. C’est donc aussi le candidat naturel au terme du ou des mandats. Le président de l’Assemblée nationale, longtemps doté de cette prérogative cruciale à «un souffle du pouvoir», perd son privilège d’héritier en attente. Une révolution …

Les cinq postes du pouvoir

Troisième point majeur du projet, la création d’un Sénat. Objectif officiel, un meilleur équilibre législatif, avec une représentation plus forte de la diversité ivoirienne, des

régions, des collectivités locales. Création d’un Sénat qui renvoie surtout à la volonté politique du président d’élargir les bases du pouvoir. Pour Ado, la Côte d’Ivoire a besoin d’une architecture institutionnelle qui permette aux différentes communautés du pays d’aspirer à un grand poste de responsabilité. Avec cette Constitution de la IIIè République se dégageraient alors cinq centres symboliques du pouvoir,

«cinq grands postes» : présidence, vice-présidence, présidence de l’Assemblée nationale, du Sénat et Premier ministère. Chacun, donc, devrait trouver une place au sommet …

Mi-juillet 2016. Brutal coup de chaud sur l’ambiance générale. L’université Fhb, à Abidjan, entre en grève après des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Quelques jours plus tard, à Yamoussoukro et Daloa, éclatent les premières échauffourées sur la question ultrasensible des tarifs de l’électricité. À Bouaké, vendredi 22 juillet, c’est l’émeute urbaine. Un mort et plusieurs dizaines de blessés. Dans la foule, on trouve aussi des jeunes sans travail, des commerçants, mécontents d’avoir été récemment délogés d’un marché local, ou encore d’anciens combattants démobilisés. Depuis plusieurs semaines, certains réclamaient des primes. Après les

hausses, le président Ouattara avait annoncé en mai dernier vouloir «mettre fin au monopole de la Cie [privatisée en 1990 et propriété du groupe franco-africain Eranove, actionnaire majoritaire, Ndlr] et de la Sodeci [Société de distribution

d’eau]» pour tenter de tirer les prix à la baisse. Les bailleurs internationaux, eux, ont récemment fait pression pour augmenter les tarifs d’électricité subventionnée par l’État … L’affaire des tarifs de la Cie illustre tragiquement l’un des défis majeurs de la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui. Les taux de croissance restent l’un des marqueurs des années Ouattara, mais ils ne garantissent pas la paix sociale. La richesse se crée mais elle ne se répartit pas suffisamment équitablement. Et l’afflux de capitaux publics et privés entraîne de réels problèmes de gouvernance pour une structure d’État qui a encore largement besoin d’être modernisée et rajeunie. La petite et grande corruption s’accentue avec «les opportunités » et la hausse du coût de la vie. À Paris, au mois de

mai dernier, les bailleurs de fonds publics ont soutenu l’expérience ivoirienne et le Programme national de développement (Pnd) 2016-2020. Mais le secteur privé s’est montré plus réservé, demandant plus de «transparence », moins d’administration, moins de fiscalité…

Ce que pensent les Ivoiriens

Pour le président et le gouvernement, l’équation est complexe. Pour le citoyen lambda, «le bitume, ça ne se mange pas », et le taux de pauvreté reste préoccupant. En termes d’Idh (Indice de développement humain), les choses s’améliorent mais la Côte d’Ivoire reste encore en queue de peloton (aux alentours de la 170è place mondiale). C’est ce décalage grandissant entre un pays neuf, qui avance, qui s’enrichit, et un pays qui sort difficilement de la précarité qui provoque la tension. Pour certains, y compris dans les cercles du pouvoir, la stabilité politique et institutionnelle est un enjeu majeur, mais le débat sur un nouveau modèle économique plus inclusif l’est tout autant, voire plus. L’idée d’une meilleure redistribution des richesses s’impose. Faire en sorte que la croissance vienne toucher les zones rurales et les zones périurbaines, la Côte d’Ivoire de l’intérieur, loin des lumières d’Abidjan. Faire entrer «l’autre» pays dans le progrès.

Fin juillet 2016. À Abidjan et dans les principales villes, la sécurité a été renforcée. Mais le débat constitutionnel et politique a repris de plus belle. Les cercles d’influence s’éveillent aux enjeux profonds qu’impliquent ces changements prévus.

On débat certes sur tel ou tel point de la nouvelle Constitution, mais la seule chose qui compte vraiment aux yeux des acteurs politiques, c’est la succession … Et donc ce poste essentiel qu’est devenue la vice-présidence, marchepied vers le poste suprême. Alassane Ouattara, on l’a dit, ne sera pas candidat à nouveau et sauf coup de théâtre très improbable, il ne se prévaudra pas de la nouvelle Constitution pour faire autrement. Mais le projet de réforme constitutionnelle devrait contenir une disposition transitoire qui permettrait à Ado de désigner son colistier au cours de l’actuel mandat. Une personnalité, donc, qui sera clairement identifiée comme le successeur retenu pour 2020. On se doute qu’Alassane Ouattara a choisi. Que ce choix a été longuement mûri, qu’il a été acté, et que les principaux partenaires concernés ont été informés de son intention. On imagine à quel point les tractations et les calculs ont été et seront intenses. Au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), dirigé encore d’une main ferme par Henri Konan Bédié, nombreux sont ceux à se prévaloir de la fameuse déclaration de Daoukro, pour imposer un «héritier » issu de leurs rangs (en admettant qu’ils arrivent à s’entendre sur un nom). Au Rassemblement

des républicains (Rdr), les choses ne sont pas beaucoup plus simples et de nombreux profils de haut rang s’estiment parfaitement placés pour succéder au chef !

IIIè République ou pas, la course aux ambitions est donc d’ores et déjà lancée. Si 2020 est «pliée », il faut penser à 2025. Il faut donc vite se préparer, s’organiser, s’attacher des fidélités. Et d’ailleurs, 2020 est-elle vraiment «pliée»?

Et en admettant, ce nouveau président de 2020 devra lui-même se présenter avec un vice-président … « Les meilleurs plans ne sont pas forcément respectés. Et d’autres voudront échapper à l’écriture de l’avenir largement inspirée par le président. Ils voudront tenter leur chance », commente un poids lourd du sérail. Réponse de l’un de ses collègues : «Justement. Si le contexte constitutionnel est opérationnel, si la loi suprême est efficace, peut-être que cette compétition pourra se dérouler de manière relativement sereine.». Une sérénité d’autant plus nécessaire que la Côte d’Ivoire change. Elle évolue. Elle s’éloigne du modèle traditionnel et patriarcal post-indépendance. La croissance économique et la démographie génèrent une profonde modification sociale. Des classes moyennes émergent avec la volonté d’être représentées, de peser sur les décisions. Une société civile apparaît, soutenue par les réseaux sociaux. Des centaines de milliers de jeunes arrivent sur le marché du travail et personne ne sait réellement ce qu’ils veulent ou ce qu’ils pensent. A part qu’ils sont connectés au monde qui les entoure. Et qu’ils ne se précipitent guère pour s’inscrire sur les nouvelles listes électorales.

Légitimités et identités régionales

Dans les rangs du pouvoir, la scène est complexe. Le débat sur la succession envahit le paysage. Mais fin novembre, doivent avoir lieu d’importantes élections législatives. Les deux grands partis de l’alliance, Pdci et Rdr, sont censés se regrouper formellement ou fusionner. C’est l’un des grands objectifs d’Ado : rassembler cette fratrie qui s’est fracassée sur les rochers de la succession d’Houphouët. Reconstituer une force politique unifiée. Les résistances sont nombreuses. Au fil des années, des appareils se sont créés et cherchent à défendre leur existence, à élargir leurs

territoires. De part et d’autre, nombreux s’estiment dépositaires uniques de la vraie légitimité. De part et d’autre, on n’a pas vraiment renoncé- on ne sait jamais – à cultiver son identité régionale et sa base (supposée) ethnique. Et de part et d’autre, les calculs pour prendre la main sur les «cousins d’en face» sont nombreux.

De son bureau du palais, le président cherche à garder le cap, à imposer son agenda. Il écoute ceux qui évoquent avec insistance l’exigence de développement et une meilleure justice sociale. La situation sécuritaire reste aussi une préoccupation majeure. La Côte d’Ivoire est tributaire de son environnement régional et stratégique. Après les attentats de Bassam, la menace est permanente dans toute l’Afrique de l’Ouest. Et on l’a dit, les ambitieux et les ambitions se sont révélés. Ado cherche à se positionner «au dessus», à mettre en place un cadre durable et pérenne, apte à garantir une certaine stabilité. Il veut sa nouvelle Constitution, un texte qui projette le pays dans l’avenir. Il tient à choisir son « héritier ». Et comme c’est un homme politique, il tient aussi à ce que les élections législatives de novembre lui donnent une

majorité cohérente sur laquelle il aura plus que de l’influence.

On comprend le grand objectif du président. Celui, finalement, de s’inscrire comme le véritable héritier d’Houphouët. De renouer avec une grande ambition ivoirienne.

Sur ce chemin, les obstacles seront certainement nombreux. Mais on ressent dans le pays une envie de futur. On sent une volonté, au moins par pragmatisme, par réalisme, de vivre ensemble, de ne plus céder aux vertiges de la division, de la violence. Unie, la Côte d’Ivoire porte un projet, offre une perspective à ses citoyens.

Source : Afrique Magazine

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