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Crise au sommet de l’État: Entre rivalité et promesse politique, Ce qui n’a jamais été dit sur Bédié et Ouattara

Sur l’échelle des amitiés solides, la leur ne culmine pas à un niveau très honorable, quoique l’histoire récente de la Côte d’Ivoire présente d’eux l’image d’amis inséparables à travers l’alliance des Houphouëtistes.

Ce rapprochement est perçu avant tout comme un deal gagnant-gagnant pour les deux formations politiques phares de cette alliance, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) et le Rassemblement des Républicains (Rdr), mais reste encore très fragile. Henri Konan Bédié, ancien président ivoirien de 1993 à 1999 – il a été déchu du pouvoir par un coup d’État en décembre 1999 – et Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire depuis novembre 2010, n’ont en effet pas toujours les atomes crochus. Leurs relations sont parfois parsemées d’écueils qui mettent à rude épreuve leur amitié et prennent à défaut leur volonté de mettre fin à l’adversité qui les oppose depuis toujours.

Tous deux jeunes débutants en politique, ils sont couvés dans l’écurie de feu le président Félix Houphouët-Boigny (Fhb). « C’était le début d’une rivalité latente, qui va se transformer au fil des années en une bataille pour le contrôle de l’héritage, car au côté du vieux, chacun d’eux va développer ce sentiment légitime de succéder au père, à tout le moins de revendiquer cet héritage. C’est toujours comme cela dans l’entourage des grands hommes », campe un baron du Pdci. Les ingrédients de cette bataille pour le trône se mettent en place progressivement. Le président Félix Houphouët-Boigny, face à la sévère crise économique, dans les années 90, fait alors appel à Alassane Ouattara, crédité d’une réputation de brillant économiste et financier, en plus d’être un bourreau du travail. Exactement l’homme qu’il faut pour juguler la crise économique dans le pays.

Il est nommé Premier ministre en novembre 1990. Il est très apprécié du président Houphouët-Boigny, qui se fait d’ailleurs son avocat à chaque tribune, surtout contre la rumeur qui le présentait comme un non-national ivoirien. En face du nouveau Premier ministre, le tout premier de l’État de Côte d’Ivoire, se dresse, dans une sorte d’arène politique, un Henri Konan Bédié président de l’Assemblée nationale prêt à en découdre. Il est la deuxième personnalité du pays, selon la Constitution. Mais ce poste lui est disputé en sourdine par Alassane Ouattara, au four et au moulin, et qui incarne une sorte de messie venu sauver le pays. Du haut du perchoir à l’Assemblée nationale, Bédié a les avantages de l’article 11 de la loi fondamentale d’alors. Il est le dauphin constitutionnel.

La rivalité éclate en 1993. La guerre, jusqu’ici larvée, éclate au grand jour à partir du 7 décembre 1993. Fatigué par la maladie et affaibli par l’âge, le président Houphouët décède dans sa 88è année de vie. « Le vieux laisse derrière lui un immense héritage et une succession qu’il n’a pas eu le temps d’organiser. Sinon, deux potentiels successeurs qui revendiquent chacun cet héritage. D’un côté Henri Konan Bédié avec dans la poche la Constitution ivoirienne, et, de l’autre, Alassane Ouattara, qui peut se targuer d’avoir sauvé la Côte d’Ivoire d’une certaine conjoncture économique sans précédent et qui mérite une place de choix sur la scène ivoirienne », explique notre interlocuteur.

Une bataille sans merci s’engage autour du pouvoir laissé par le premier président. Elle tourne en faveur de Henri Konan Bédié, fort de l’article 11 de la Constitution. Sur les antennes de la télévision nationale, il prononce ces quelques phrases qui tiennent lieu de déclaration de prise du pouvoir : « Mes chers compatriotes, nous venons d’apprendre ce matin l’information la plus cruelle de notre histoire nationale. Le père de la nation, notre chef d’Etat bien-aimé, n’est plus. La Constitution, notre loi suprême, me confère, dans cette dramatique situation, des responsabilités dont je mesure le poids. Je les assumerai dans le droit fil de celui qui en fut l’inspirateur, et le pays sera gouverné. (…) ».

Face à une telle détermination, Alassane Ouattara se retire de l’arène. Il part aux États- Unis et est nommé directeur général adjoint du Fonds monétaire international (Fmi). Il ne renonce pas pour autant à la politique en Côte d’Ivoire. Depuis cette influente institution qui entretient des liens étroits avec les pouvoirs africains, Ouattara veille sur les affaires ivoiriennes. Quant à Henri Konan Bédié, il savoure sans modération cette première victoire sur son rival. Il est à la fois chef d’État et président du parti créé par feu Félix Houphouët-Boigny.

Le round de 1995. Ce n’était qu’une trêve. Le second round de la bataille entre les deux hommes se jouera pendant l’année 1995, année des premières élections générales après le décès de FHB. La scène politique est alors en ébullition. Le parti fondateur de la Côte d’Ivoire moderne est traversé par un vent de division. En 1994, à un congrès du Pdci, feu Georges Djéni Kobena Kouamé, leader politique ivoirien bien connu, avec une riche expérience en matière de lutte syndicale, est empêché de prendre la parole. Un manquement qu’il ne tolère pas, en sa qualité de membre des instances du Pdci. Il décide alors de quitter ce parti pour aller créer le Rdr. Ce parti parraine la candidature d’Alassane Ouattara, encore en poste au Fmi. Bédié, lui, vient de passer deux ans au pouvoir et n’entend aucunement s’arrêter. Entre autres stratégies pour rempiler, le bétonnage du code électoral, avec le concept de l’ivoirité qui écarte finalement de la course le candidat présumé du Rdr, Alassane Ouattara, soupçonné à l’époque de nationalité ivoirienne douteuse. « Le nouveau président (Henri Konan Bédié) a tenté de renverser toutes les réformes, y compris l’ouverture traditionnelle de notre société et de notre économie. Il a même essayé de me déclarer inéligible au mandat de président », regrette le seul Premier ministre d’Houphouët dans un livre paru récemment et intitulé ” L’Afrique en marche ”. Le président du Pdci est élu président de la République le 22 octobre 1995 avec plus de 96 % des suffrages exprimés, face au leader du Parti ivoirien des travailleurs (Pit), Francis Wodié. Les autres prétendants, dont Laurent Gbagbo, leader du Front populaire ivoirien (Fpi), boycottent l’élection pour protester contre le code électoral.

De retour au pays, Alassane Ouattara garde toujours en tête son ambition de briguer la magistrature suprême. Il a désormais un parti politique pour mener son combat. Il en prend les commandes, mais se heurte à nouveau à la machine du Pdci-Rda pilotée par Henri Konan Bédié. Le leader du Rdr est même visé par un mandat d’arrêt et contraint de s’exiler. En 1999, un coup d’État militaire conduit par le général Guéi, avec des militaires mécontents du régime Bédié, l’emporte et remet les compteurs à zéro.

Une communauté de destin. Le coup d’État de feu Robert Guéi est finalement bénéfique à Laurent Gbagbo, chef de l’opposition depuis le pouvoir FHB, et troisième prétendant à la succession. Il est surtout perçu comme le tocard de cette course au pouvoir. Sa victoire, à l’arrachée, aux élections de 2000 face au chef de la junte militaire au pouvoir, change la donne politique. Les héritiers directs du vieux se rendent très vite compte que le trône vient de leur échapper suite à leurs querelles intestines. Que faire ? Primo, mettre de côté les égo pour ramener le pouvoir dans le giron des Houphouëtistes. Et secundo, mettre tout en œuvre pour le conserver dans la maison du père. Laurent Gbagbo, le président élu de 2000 devient alors l’ennemi commun des héritiers.

En mai 2005, l’alliance est scellée à Paris, avec la naissance du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). Elle rassemble quatre partis politiques. Les clauses prévoient une gestion du pouvoir d’État à tour de rôle. Mais cette alternance au pouvoir, réitérée dans le discours d’Henri Konan Bédié le 17 septembre 2014, dans sa ville natale de Daoukro, s’applique pour l’heure en faveur d’Alassane Ouattara et du Rdr. Le Pdci la réclame à cor et à cri et l’attend pour 2020. A défaut, il va présenter un candidat face à celui du Rdr. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que le vieux litige entre ces deux héritiers d’Houphouët-Boigny suite à sa mort, n’est pas encore réglé, et c’est ce qui continue jusqu’à ce jour », conclut le vieux baron du Pdci-Rda.

 

Hamadou ZIAO

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