04272024Headline:

Duékoué/Jean-Baptiste ,torturé, marqué au fer rouge/ Un survivant de la crise brise le silence : « Je suis impuissant, aujourd’hui » son histoire

C’est dans la région de Duékoué que Jean-Baptiste Tahou Bobo a vécu toutes les facettes de la crise ivoirienne. Battu, torturé, marqué au fer rouge comme un vulgaire animal, Jean-baptiste est blessé pour la vie : à 38 ans, il se dit impuissant, incapable de satisfaire une femme. Voici son histoire.
Propos recueillis par Daouda Coulibaly et Maxence Peniguet
À la faveur de la rébellion armée du 19 septembre 2002, mon village a été attaqué. Lorsqu’ils sont entrés à Dianhouin, ma localité, ils ont commencé à tirer partout. Mon grand frère, qui vivait avec moi, a été arrêté, et ils lui ont dit :
« – Nous sommes venus contre un groupe d’ethnie, notamment, les Guérés (…). Qui supportes-tu ? Et pour qui as-tu voté ?– J’ai été voter, mais je ne peux pas vous dire pour qui j’ai voté. Le vote est secret », a répondu mon grand-frère Adolphe.

Aussitôt, ils lui ont coupé un bras et reposé la même question :« – Pour qui as-tu voté ?

– Le vote est secret…», aura à peine le temps de répondre Adolphe avant de voir son autre bras coupé.

Cet interrogatoire fut un éternel recommencement, jusqu’à ce qu’on lui arrache la tête.

Nous avons crié : « Licorne, au secours ! »

Lorsqu’ils eurent fini avec mon aîné, ils s’en sont pris aux femmes, violant et éventrant celles qui étaient enceintes. Durant leur folie meurtrière, j’ai pu m’enfuir avec d’autres personnes. Nous étions au nombre de 70. Nous avons été pourchassés jusqu’au check-point de la force Licorne [opération de “maintien de la paix” française en Côte d’Ivoire, NDLR]. Nous avons crié : « Licorne, au secours ! » Mais en vain : la force Licorne n’a pas réagi !

Les rebelles continuaient de nous tuer sous leurs yeux. Sur 70 personnes, seulement 20 ont pu traverser le check-point de l’armée française pour se retrouver à Duékoué-ville. Dieu merci, j’étais parmi les 20 survivants !

Et les tueries continuaient toujours

De 2002 à 2004, tous les villages, hameaux et campements étaient infestés de « dozos » [chasseurs traditionnels, généralement originaires du nord de la Côte d’Ivoire, NDLR]. Et les tueries continuaient toujours, mais de façon isolée.

En 2011, la crise a encore repris. Pour ne pas vivre la même situation que celle de 2002, nous avons fui pour nous réfugier en brousse. Mais c’était mal connaître les dozos. Accompagnés de leurs chiens de chasse, ils ont pourchassé tous ceux qui étaient en brousse comme du gibier. Moi, j’ai été mordu un peu partout sur le corps par les chiens. Je n’ai eu la vie sauve qu’en me laissant tomber d’une colline. Tous ceux qui n’ont pas pu s’échapper comme moi ont été purement et simplement abattus.

Je suis resté en forêt pendant un très long moment jusqu’à l’arrestation du président Gbagbo. Les FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire) sont venues en brousse pour demander aux gens de sortir et que rien ne leur arriverait. Nous nous sommes exécutés.

Un peu plus de deux mois après le 11 avril 2011, c’est-à-dire le 6 juillet 2011, les choses se sont à nouveau compliquées pour moi. Ils sont venus me chercher sous le prétexte que j’étais pro-Gbagbo. Je leur ai dit que je n’étais pas politicien, je n’était qu’un exploitant forestier. J’avais juste accompli un devoir civique en allant voter.

Et c’était comme ça, tous les jours, à une heure du matin

Pendant des mois, j’ai été battu et torturé. Ils mettaient deux fers au feu qu’ils chauffaient à blanc pour me marquer au dos. Et c’était comme ça, tous les jours, à une heure du matin. À force de me torturer, tout ce qui faisait de moi un homme n’existe plus que de nom : je suis impuissant, aujourd’hui.

Les années se sont écoulées, nous sommes à quelques mois des prochaines élections. J’avoue que j’ai peur, j’ai terriblement peur car je m’inquiète que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets. Les FAFN [Forces armées des Forces nouvelles, NDLR] sont toujours armées ; les dozos aussi. Dans les campements, il y a encore des armes lourdes.

Aujourd’hui, on nous parle de réconciliation. Et pourtant, on dit une chose et en même temps son contraire. Gbagbo est en prison, nos frères et nos sœurs sont soit en exil, soit en prison. Quand ces derniers rentrent au pays, ils sont jetés en prison. De qui se fout-on ? Avant de parler de réconciliation, qu’ils se réconcilient entre eux.

La libération pure et simple du président Laurent Gbagbo

Aujourd’hui, il y a les « Pro-Soro », les « Pro-Bakayoko » et les « Pro-Ouattara ». Vous [le pouvoir, NDLR] êtes divisés et vous voulez réconcilier les Ivoiriens pour qu’on aille aux élections. Sur quelles bases ? Pour couronner le tout, les charges ont été confirmées contre Gbagbo. Vraiment, je crois que la pseudo-réconciliation est déjà mise à mal. Et 2015 n’augure rien de bon.

Pour finir, je tiens à dire à nos autorités en place ce que le peuple Wê a perdu dans cette grave crise, personne ne pourra le lui rendre. Dieu seul peut le faire. Mais la seule chose que nous demandons pour sécher nos larmes et aller de l’avant, comme on nous le demande, c’est la libération pure et simple du président Laurent Gbagbo.


Ce témoignage est le second de notre série d’articles concernant la ville de Duékoué. Sur le même sujet, vous pouvez lire le témoignage d’Affousiata Soumahoro, qui raconte la perte de son mari.

Ivoire Justice

What Next?

Recent Articles