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Crise du cacao: Ce que les chocolatiers redoutent en Côte d’Ivoire

Crise du cacao, maigre gain des producteurs ivoiriens, boycotts sporadiques: Ce que les chocolatiers redoutent en Côte d’Ivoire

Les producteurs ivoiriens de cacao gagnent en moyenne 91 centimes par jour et vivent en dessous du seuil local de pauvreté. La multinationale zurichoise promet d’agir pour améliorer leur sort, mais son plan risque de faire baisser les prix.

Au taux de change du jour, un producteur des fèves de cacao en Côte d’Ivoire gagne 91 centimes suisses par jour. Cette situation concerne 700 000 paysans dont dépendent directement cinq millions des membres de leurs familles. Ce pays d’Afrique de l’ouest est premier producteur mondial – 1750 tonnes par année, soit 42% –, d’une matière première qui est à la base d’une industrie chocolatière multimilliardaire aux Etats-Unis et en Europe. La côte d’Ivoire compte 24 millions d’habitants et le PIB par habitant est de 1500 francs par an.

Ce constat est dressé dans une étude menée conjointement par le premier chocolatier suisse Barry Callebaut et l’Agence française de développement et qui a été publiée cette semaine. Les auteurs affirment que «malgré le nombre croissant de projets d’aide au développement destinés à ce secteur, la plupart des producteurs ivoiriens de cacao vivent toujours très au-dessous du seuil de pauvreté». Ils soulignent aussi que les communautés cacaoyères sont souvent dépourvues de services et d’infrastructures de base telles que les écoles, les centres de santé ou encore des puits d’eau potable.

Auto-flagellation?

De l’auto-flagellation de la part de Barry Callebaut qui s’approvisionne jusqu’à 25% de ses besoins en cacao en Côte d’Ivoire et qui se dit engagée depuis plusieurs années à améliorer le sort de producteurs? «En publiant cette étude, nous jouons la carte de la transparence, déclare un porte-parole de la multinationale sise à Zurich. Désormais, elle constitue le point de départ d’une série d’activités visant à améliorer la situation.» Dans le cadre de sa stratégie baptisée «Forever Chocolate», Barry Callebaut veut sortir 500 000 producteurs de la misère. «Nous publierons chaque année un rapport sur les progrès accomplis», promet-il.

Pour le géant chocolatier suisse, la solution passe par l’amélioration du rendement des plantations en renouvelant les cacaoyers, en utilisant les fertilisants et aussi en améliorant l’accès aux financements. Le comble de l’ironie est que le pays connaît à présent une surproduction et depuis novembre 2016, les producteurs qui n’arrivent pas à écouler leurs récoltes, sont en colère. Début janvier, plusieurs dizaines des camions chargés de sacs de la fève sont bloqués près du port d’Abidjan. L’AFP rapportait aussi que des montagnes de sacs remplis étaient exposées aux aléas du temps, faute d’avoir trouvé des repreneurs. La semaine passée, la police a dispersé une manifestation des producteurs mécontents.

Surproduction

La surproduction ne concerne pas que la Côte d’Ivoire. Elle est mondiale, raison pour laquelle, les cours sont baissiers. Vendredi, la tonne valait 2067 dollars, contre 2900 une année plus tôt.

Dès lors, l’initiative Forever Chocolate ne va-t-elle pas encore aggraver la surproduction et faire baisser davantage les prix au profit de gros acheteurs comme Barry Callebaut? «Les prix ne dépendent pas uniquement de l’offre, mais d’une multitude des facteurs, répond le porte-parole. En revanche, il est certain que les paysans ivoiriens n’augmenteront pas leurs revenus s’ils ne produisent pas davantage.»

Les chocolatiers redoutent que la Côte d’Ivoire ne sombre dans l’anarchie totale

Le prix du cacao grimpe. Les grands acheteurs ne craignent pas de rupture immédiate d’approvisionnement mais s’inquiètent pour le long terme

«Nous disposons de stocks nécessaires pour éviter une rupture d’approvisionnement en cacao pour le reste de l’année ainsi que pour une partie de 2005. Nous ne sommes pas non plus immédiatement vulnérables aux fluctuations de prix qui ont lieu ces jours. La répercussion serait tout autre si l’insécurité actuelle se transformait en un chaos durant plusieurs mois.» François-Xavier Perroud, porte-parole de Nestlé, l’un des principaux acheteurs de cacao, réagit plutôt sereinement face à la crise politique qui a largement dégénéré depuis ce week-end en Côte d’Ivoire.

Ce pays d’Afrique de l’Ouest est le premier producteur mondial de cacao, avec 1,2 million de tonnes sur 3,1 millions, devant le Ghana, l’Indonésie et l’Equateur, entre autres. «La Côte d’Ivoire connaît régulièrement des troubles politiques depuis deux ans, mais nous avons réussi à maintenir nos opérations, poursuit le porte-parole du fabricant du célèbre Kit Kat. Nous y avons deux usines près d’Abidjan, la capitale, et plusieurs expatriés sont actuellement sur place. Ces derniers sont sains et saufs.» Selon lui, la situation était identique il y a deux ans et Nestlé a poursuivi ses activités presque normalement.

Sur le Liffe, le marché à terme de Londres, le prix du cacao a fortement progressé lundi à 984 livres sterling la tonne. Dans la journée, il avait atteint son plus haut niveau depuis cinq ans, à 1019 livres sterling. «Cette hausse n’a pas de limite», a déclaré à Bloomberg Gary Mize, responsable de Noble Group, maison de négoce de matières premières basée à Singapour. Moins pessimiste, Jean Paviot, négociant international et juge-arbitre à la Fédération du commerce des cacaos à Paris, estime que le marché a réagi violemment dans un premier temps, comme dans le passé. Il devrait cependant se stabiliser rapidement, à moins que la situation en Côte d’Ivoire ne dégénère et ne devienne hors de contrôle. Il affirme qu’il n’y a «pas de pénurie de cacao sur le marché mondial. D’autres producteurs, dont le Ghana voisin, ont fait des récoltes record 2004.» Selon les estimations de l’Organisation internationale du cacao, le surplus pour 2004 s’élèverait à 148 000 tonnes de cacao et les réserves à 1,3 million de tonnes. Jean Paviot rappelle par ailleurs que c’est la saison de la récolte en Côte d’Ivoire et que les principales plantations cacaotières sont loin de la zone de conflit entre les rebelles du nord et les forces armées gouvernementales. «Au pire, il peut y avoir des problèmes de mise sur le marché, c’est-à-dire que les routes et les ports pourraient être paralysés par des foules en colère», ajoute-t-il encore.

Boycotts sporadiques

A Zurich, Barry Callebaut, le grossiste numéro un mondial du cacao, s’apprête à publier les résultats du 2e trimestre 2004 ce mercredi. Ils seront excellents, selon Alain Oberhuber, analyste de la banque LODH. L’entreprise, 30 usines et 9000 employés, avait réalisé des ventes de 3,7 milliards de dollars en 2003. L’analyste ne voit pas le marché chocolatier chahuté à cause de la Côte d’Ivoire. Il estime que le grossiste suisse, qui a deux usines en Côté d’Ivoire, peut s’approvisionner au Ghana où la récolte 2004 est très bonne.

La Côte d’Ivoire est par ailleurs en proie à des mouvements sporadiques de boycott de commercialisation menés par les producteurs de cacao et de café. Jeudi dernier, plusieurs usines conditionnant les fèves avant l’exportation étaient en grève. Toutes les opérations d’embarquement et de déchargement du cacao étaient suspendues. «Nous demandons l’amélioration du prix d’achat du cacao», a réclamé jeudi un responsable d’une société coopérative, cité par le quotidien ivoirien Le Patriote. Jean Paviot ne montre pas d’état d’âme à ce propos: «Ce qui n’est pas vendu, le sera ultérieurement. Les producteurs ivoiriens finiront par mettre leur production dans le circuit commercial.»

Source : letemps.ch

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