04262024Headline:

Transport intercommunal : Des syndicalistes se défendent et accusent les Abidjanais

Se déplacer à Abidjan n’est pas chose aisée. Des bouchons interminables, des lenteurs, un véritable labyrinthe sur nos routes, qui ne manquent pas de mettre les usagers de transport en commun de mauvaise humeur.

A ce sentiment d’inconfort viennent se greffer des coûts de transport bien souvent très élevés, difficilement supportables par les Abidjanais, notamment pour ce qui est des transports intercommunaux. « Le transport est très cher à Abidjan. Tu quittes Yopougon pour te rendre au Plateau, on te fait payer une somme d’argent comme si tu sortais d’Abidjan », récrimine Aude Meh, une habituée de la ligne Yopougon-Plateau. La situation telle que résumée par cette voisine d’un matin, la plupart des Ivoiriens qui ont recours aux woro-woro ou véhicules dits banalisés pour leur déplacement d’une commune à une autre, n’ont de cesse de s’en plaindre. « Le transport est cher à Abidjan », entend-on çà et là. Nous avons approché des transporteurs (chauffeurs de woro-woro) pour comprendre le mécanisme de fixation des prix du transport, notamment sur les lignes Abidjan Nord-Abidjan Sud (Yopougon-Plateau-Marcory-Koumassi-Port Bouët), Abidjan Centre-Abidjan Sud (Cocody-Marcory-Koumassi) et vice versa.

Explications. Deux chauffeurs, près d’une dizaine d’années d’expérience dans le secteur du transport, ont accepté de se confier à nous, sous le couvert de l’anonymat. Car, disent-ils, « on ne veut pas mettre notre vie en danger. On nous connaît à la gare ici (Lavage à Yopougon non loin de la paroisse Saint André, Ndlr) ». Naturellement, pour justifier les différents montants déterminés en fonction des lignes, l’un de nos interlocuteurs assure que le premier critère qui est pris en compte est de couvrir la charge en carburant. Mais aussi, étant donné que la plupart d’entre eux travaillent pour des particuliers et non à leur propre compte, notre interlocuteur précise que la fixation du tarif est fait de sorte que le chauffeur et son employé puissent « avoir quelque chose à la fin de la journée ». Qu’à cela ne tienne ! Même avec ces charges, le niveau des coûts de transport devait pouvoir être un peu plus bas que ce que les Abidjanais paient de nos jours, si l’on s’en tient aux explications plus détaillées de nos sources. « Si on devait se limiter uniquement aux charges d’entretien du véhicule et aussi aux objectifs de recettes qu’on se fixe, on pouvait pratiquer des coûts un peu plus bas comparativement à ce qu’on vous fait payer aujourd’hui », nous informe-t-on. Puis notre interlocuteur de lâcher : « C’est pour les syndicats qu’on travaille. Parce que c’est dans leurs poches que vont toute notre recette ».

Révélations. Le coût du transport Yopougon-Koumassi-Marcory est fixé à 800 Fcfa. Jusqu’à Port-Bouët, il passe à 1 000 Fcfa. Plateau-Koumassi (500 Fcfa) ; Cocody-Koumassi (700 Fcfa, du fait du pont à péage). Pour le trajet Riviéra-Abidjan Sud, il faudra débourser 1 000 Fcfa, et ainsi de suite. Ces montants augmentent de 100 Fcfa lorsque les véhicules empruntent le pont HKB. Pour les conducteurs de ces woro-woro ou véhicules banalisés, la fixation de ces prix ne dépend pas forcément d’eux en tant que transporteurs. Mais des syndicats, propriétaires des gares dans lesquelles ils font les chargements. De fait, s’il leur venait à « l’idée de casser les prix, c’est nous qui allons perdre puisque pour chaque chargement qu’on fait, il y a un montant à verser à ceux qui sont commis à l’animation de la gare », apprend-on. En réalité, si cela ne tenait qu’aux seuls chauffeurs, « nous sommes prêts à faire la ligne Yopougon-Koumassi à 500 Fcfa et on n’aurait rien à perdre, si ce que les passagers paient nous revient entièrement. Mais étant donné qu’on doit verser une part aux syndicats, on ne peut pas s’aviser de faire quelque chose du genre ». Autrement dit, les Abidjanais paient plus qu’ils ne le devaient pour les différents trajets qu’ils parcourent. En clair, ce sont les passagers qui paient la compensation, même si ce n’est pas suffisant pour contenter les transporteurs, pour les ponctions que leur font les syndicats.

Hallucinant. A Abidjan, des espaces publics, mais surtout des routes construites avec l’argent du contribuable, sont devenus des propriétés privées d’individus quelconques, qui les louent à d’autres personnes qui les pratiquent. C’est hallucinant, ahurissant même d’apprendre que pour faire le transport intercommunal, il y a à payer une caution. Pour ce qu’il nous a été donné de découvrir dans le cadre de notre enquête, la ligne Yopougon-Koumassi est cautionnée à hauteur de 100 000 Fcfa pour qui veut faire du transport en commun sur cette voie. « Si tu veux mettre ta voiture sur la ligne, la caution qu’ils te demandent de payer, c’est 100 000 Fcfa. Mais il y a possibilité de négociation », a appris notre équipe de reportage auprès de personnes qui ont souscrit à ce processus. Mais encore, d’autres frais, plus importants quand on procède à un cumul, sont prélevés aux chauffeurs quotidiennement, de sorte qu’ils n’ont aucun remords à faire répercuter ces frais sur les pauvres usagers. A savoir que pour chaque premier chargement de la journée, le chauffeur se doit de payer à ces ‘’seigneurs’’ 4 600 Fcfa, qu’ils appellent dans leur milieu « Guantanamo ».

Un petit calcul rapide peut permettre de savoir ce que le chauffeur gagne sur le chargement. La plupart des véhicules banalisés sont les Picnic (6 places en dehors du conducteur). Ce qui revient à 4 800 Fcfa pour un chargement. Lorsque les maîtres des lieux prennent leur part (4 600 Fcfa), c’est la somme de 200 Fcfa qui revient aux chauffeurs. « C’est pour cette raison que nous prenons jusqu’à 3 personnes à l’arrière là où on ne devrait prendre que deux personnes. Du coup, pour notre premier voyage, on encaisse 5 600 Fcfa. Et nous-mêmes, on s’en sort avec 1 000 Fcfa », argumente un chauffeur de la ligne Yopougon-Marcory. Cette ponction se fait dans la gare de départ et aussi dans la gare d’arrivée, , bien-entendu le véhicule décide de faire un chargement pour retourner au point de départ. « En clair, pour nos deux premiers voyages en aller et retour, la recette revient presqu’entièrement aux syndicats », se désole notre interlocuteur. Par la suite, dans le courant de la journée, les autres chargements sont facturés à 1 500 Fcfa. Mais dès 18h, heure de pointe, cette cotisation est revue à la hausse. Elle passe à 2 000 Fcfa. A ces montants qui sont prélevés en fonction du nombre de voyages, il faut ajouter d’autres versements fixes : Barrage (2 000 Fcfa une fois par jour), Tableau (1 000 Fcfa par jour), Ticket (1 000 Fcfa par jour) et 1 200 Fcfa pour la mairie chaque semaine. De l’avis des chauffeurs de transport en commun, ce sont tous ces frais dont ils sont obligés de s’acquitter à longueur de journée qui font que « se déplacer à Abidjan dans les transports en commun revient très cher ».

Où va l’argent ? Il ne fait aucun doute que le secteur des transports brasse des dizaines de millions par jour. Mais le flux d’argent qui échappe au contrôle des services d’État reste aussi important. Seulement, l’on ne saura jamais à qui profitent ces fonds. Des sources bien introduites au sein des syndicats du secteur révèlent que ces pratiques « hors-la-loi » ne peuvent pas prospérer ainsi si elles ne sont pas soutenues et entretenues par des autorités publiques. Même si notre source n’a aucune preuve pour étayer ses affirmations, elle dit maîtriser le réseau. Ce qui lui fait dire qu’elle détient des informations sur ce qu’il qualifie de « blanchiment d’argent » au profit des certaines personnalités haut placées dans le pays. Elle évoque, en effet, des autorités policières ou militaires, municipales et même ministérielles avec qui ces syndicats composent, de sorte qu’ils ne sont nullement inquiétés bien que leurs pratiques soient illégales. « Il existe des personnes haut placées dans ce pays qui n’ont pas intérêt à ce que le milieu des transports soit assaini. Parce qu’elles ‘’mangent’’ dans ça », avance notre source. Selon ses explications, les syndicats du secteur des transports sont intouchables parce que, quoi qu’il en soit, ces derniers seraient sous haute protection. « Il ne faut pas voir le petit individu qui vient t’encaisser. Mais derrière lui, il y a toute une ”armée”. C’est une véritable mafia qu’il serait difficile de démanteler », prévient-il.

Et ce n’est pas Touré Adama, président de la Coordination des gares routières de Côte d’Ivoire (Cgrci) qui dira le contraire quand il affirme que ”c’est un laisser aller” auquel le gouvernement devrait remédier. Ce d’autant plus que, dira-t-il, « tous ces nombreux syndicats qui rançonnent les transporteurs sont désormais réunis au sein d’une même organisation qui est le Haut conseil du patronat des entreprises de transport routier de Côte d’Ivoire. Le ministère doit leur interdire de rançonner les gens ». Pour lui, c’est au gouvernement qu’il revient de mettre fin à cette anarchie.

 

 

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